Émouvoir pour mieux convaincre

Jean Mallard

Faire appel à sa créativité est une étape indispensable pour convaincre. Pourquoi ? Car c’est par ce biais que nous sommes susceptibles de faire naître des émotions chez notre audience.

J’entends souvent dire :

« Pourquoi voudrais-je déclencher des émotions chez mon auditoire, dans mon travail ? Ce serait inapproprié. Une réunion n’est ni le lieu ni le moment pour provoquer des émotions ».

Si nous réagissons ainsi, c’est parce que nous associons instinctivement les émotions au « pathos », c’est-à-dire aux grandes émotions que sont la tristesse, la colère, la peur…

Pourtant, le panel existant est bien plus subtil. Prenez par exemple : la réjouissance, la satisfaction, l’enchantement, l’agacement, la contrariété, l’inquiétude, la méfiance, la déception, l’étonnement, l’amertume, l’écœurement, le rejet…

Plus généralement, les émotions font partie intégrante des mécanismes de prise de décision et de conviction. C’est scientifiquement prouvé !

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En 1994, le neurologue Antonio Damasio a participé à une étude dont les résultats appuient cette idée. Au cours de celle-ci, il a étudié des sujets souffrant de lésions cérébrales (dans le cortex préfrontal ventromédian). De quoi souffrent ces personnes ? Si elles conservent toutes leurs habiletés intellectuelles, elles ont perdu une partie de leurs capacités à ressentir des émotions. Le docteur Damasio fut surpris de constater que les participants de son étude n’arrivaient plus à prendre des décisions conformément à leur propre intérêt. Ils étaient devenus incapables de faire des choix logiques et de s’organiser au quotidien.

Il serait donc illusoire de séparer raison et émotion, les deux allant de pair.

Pour gagner l’adhésion de son audience, on ne peut pas uniquement s’adresser à la raison en utilisant des chiffres, des arguments factuels, de droit, économiques, sociologiques… La conviction émotionnelle est cruciale, dans toute prise de parole en public.

Aucun orateur ne peut faire l’impasse sur les émotions, même dans les contextes les plus formels.

Mais alors, comment susciter des émotions dans un discours ?

C’est là que la créativité intervient. Notre imaginaire est capable de créer des images, qui rendront plus intelligible notre discours, et qui toucheront nos interlocuteurs en plein cœur.

Prenez un stylo, je vous partage un exercice que j’adore, diablement efficace. Vous êtes sur le point de tisser une comparaison inédite pour marquer les esprits.

Étape 1 – Sélectionnez l’un de vos arguments

Décrivez en quelques lignes votre argument pour l’expliquer avec vos mots. Par exemple, si le sujet est le « réveil écologique », vous pourriez avoir un argument concernant notre manque de connaissance du monde du vivant. Dans le podcast Inpower, l’excellente comédienne Lucie Lucas dit à Louise Aubry:

« On s’est déconnecté ces 50 dernières années de la nature, et on ne la connaît plus. »

Rendons cet argument plus impactant avec une image marquante, grâce à laquelle votre auditoire va pouvoir se projeter et s’identifier.

Étape 2 – Pensez à une activité que vous pratiquez régulièrement

Sélectionnez à présent une activité (quotidienne) que vous chérissez. Par exemple : la cuisine, passer du temps avec les animaux ou dans la nature, le sport, le bricolage, la mythologie grecque… Votre passion du dimanche est une source de créativité. Ne cherchez surtout pas ici l’originalité. Au contraire, allez puiser dans votre quotidien.

Par exemple, dans mon cas, mon activité quotidienne (et tristement banale) est de faire défiler mes réseaux sociaux frénétiquement sur mon écran, à la sortie du lit.

Étape 3 – Trouvez un lien entre cette activité et votre sujet

Ici, je peux dire (en m’inspirant d’une analogie réalisée par l’astrophysicien Aurélien Barrau):

« Je peux reconnaître à l’oreille les sons des notifications Snapchat, Twitter, Instagram, Facebook. Mais je ne sais pas distinguer les chants d’oiseaux qui peuplent ma ville. »

Vous venez à l’instant de réaliser une association d’idées. Votre imagination a fait un bond et a relié deux univers que rien, jusque-là, ne raccordait. C’est d’autant plus efficace que les éléments de votre combinaison sont éloignés. Amusez-vous à dresser des parallèles hasardeux où deux éléments se rencontrent accidentellement. Évidemment, cela ne fonctionne pas à tous les coups : si le lien de similarité est tiré par les cheveux, laissez tomber, et partez à la recherche de nouvelles conjugaisons. Plus l’activité que vous choisissez est ordinaire, plus l’analogie sera surprenante.

La créativité est aussi une arme pour simplifier un message complexe.

Je m’inspire beaucoup des scientifiques, excellents orateurs, comme Aurélien Barrau, Étienne Klein, Cédric Villani ou Gaël Giraud. Ils emploient régulièrement des images édifiantes pour simplifier des idées abstraites ou complexes.

Par exemple, Jean-Marc Jancovici, ingénieur et super vulgarisateur, explique la recherche des gisements de pétrole :

« La chasse au pétrole c’est comme la chasse aux œufs de Pâques (pour ceux d’entre vous qui en ont déjà cherché dans leur jardin). Vous allez trouver en premier les plus gros et les moins bien planqués. Le pétrole, c’est pareil. Quand vous cherchez du pétrole, vous trouvez en premier les gisements les plus gros et les moins bien planqués. Vous continuez de chercher, et puis vous trouvez les plus petits et les mieux cachés. Et puis, vient un moment où il n’y en a plus. »

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À vous de jouer, partez en chasse d’un langage créatif, impactant et illustré !