Parler le langage de l’espoir

C’est facile de parler avec espoir d’un sujet positif, de partager avec optimisme l’attente d’un événement heureux, que l’on désire profondément. Mais peut-on parler de tout avec espoir ? Peut-on parler des sujets qui nous angoissent, de la mort, du manque d’argent, ou de l’effondrement du vivant sur notre planète ?

La réponse est oui. Et l’on peut même convaincre son auditoire qu’il faut aller de l’avant, à condition d’utiliser les bons ressorts.

Premier ressort : pour chercher la lumière, il faut assumer la part d’ombre

Pour parler avec espoir, il faut savoir au préalable verbaliser les constats, aussi dramatiques soient-ils. Si nous reprenons l’exemple de l’effondrement du vivant, nous pourrions par exemple dire que nous avons déjà éradiqué, sur des échelles de temps différentes, plus de la moitié des mammifères sauvages, des poissons, des insectes ou des arbres. Nous pourrions rappeler que 9 millions de personnes meurent de la pollution chaque année dans le monde (source : The Lancet Planetary Health).

On entend souvent dire que de tels constats sont contre-productifs, qu’ils mènent à la paralysie, et donc à l’inaction. Certes, les recherches en psychologie sociale ont montré au cours des dernières décennies qu’un abus de « l’appel à la peur » peut être inefficace.

Mais elles montrent aussi que, lorsque la menace est grave et palpable, et que l’audience se sent concernée (là est toute la subtilité), la réponse sera bien entendue. Comme l’explique bien Arthur Keller, lorsqu’elle est exploitée avec justesse et sincérité, la peur peut mobiliser !

Jetez un oeil à cette étude Appealing to Fear: A Meta-Analysis of Fear Appeal Effectiveness and Theories qui montre que la peur est un driver pour passer à l’action.

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Deuxième ressort : des images pour voir l’espoir

Ensuite, il en va de l’espoir comme du réel, il est crucial que vos interlocuteurs puissent visualiser ce dont vous parlez. Les journalistes radio le savent bien, eux qui apprennent à « donner à voir » dans leurs chroniques. C’est pareil pour nous : nous ne devons pas lésiner sur les descriptions visuelles si nous voulons que l’audience se projette dans la solution ou l’alternative proposée.

C’est ce que fait Ernest Callenbach dans son roman Ecotopia, lorsqu’il décrit précisément un modèle d’éducation possible :

« Incroyable mais vrai, les enfants ont seulement une heure quotidienne de véritables cours. (…) Ils construisent des cabanes dans les arbres, aménagent des cachettes sous terre, fabriquent des arcs et des flèches, essaient d’attraper les rongeurs qui pullulent sur la colline et se comportent de manière générale comme de joyeux sauvages. »

On se téléporte instantanément dans cette parcelle boisée et on imagine nos enfants occupés à fabriquer leurs jouets en bois, ce qu’un langage terne et anonyme n’aurait pas permis.

N’oublions pas que les images se forment notamment grâce à la puissance des détails. Gardons en tête le principe de « matérialité », selon lequel nous sommes émus par ce que nous pouvons visualiser. Pour enclencher la visualisation, notre discours doit comporter des descriptions précises. Si la description est floue, nous aurons du mal à nous la représenter.

Un exemple récent, qui nous ramène à nos réflexions sur l’avenir de la planète, nous est donné par Céline Guivarch, directrice de recherche à l’école des Ponts, qui intervenait au Big 2022, événement entrepreneurial sur l’innovation organisé par BPI France.

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Pour nous entraîner dans sa vision du monde en 2052, la scientifique du climat ne lésine pas sur les détails pour commencer :

« Nous sommes le 6 octobre 2052. En juin, j’ai eu 72 ans, mes enfants ont la quarantaine. »

Ces quelques mots auront suffi : vous voilà prêts à découvrir, avec elle, qu’en 2052, nous pouvons vivre dans un monde neutre en carbone.

Troisième ressort : trouver les mots justes

Créer de nouveaux récits porteurs d’espoir, c’est enfin repenser notre langage. Comme l’écrivait Albert Camus en 1944 (Sur une philosophie de l’expression) :

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »

Prenons par exemple le débat qui oppose la « croissance » à la « décroissance ». La première évoque l’augmentation du produit intérieur brut (PIB), l’abondance et la prospérité. La seconde est un terme négatif, qui renvoie à la privation. Pourtant, comme le dit bien le physicien Aurélien Barrau dans son petit ouvrage Il faut une révolution politique poétique et philosophique (éditions Zulma) :

« Il ne faut pas renoncer à la croissance, il faut la redéfinir. Il y a quelque chose de profondément débile à nommer croissance une éradication systématique de la vie sur Terre. La croissance vraie ne pose aucun problème : l’amour, la créativité, l’entraide, la connaissance, les explorations artistiques et scientifiques. »

De même, si nous devions demain défendre un monde où l’homme n’est plus « maître et possesseur de la nature » (dixit Descartes, dans son Discours de la méthode) ; pouvons-nous continuer de parler d’environnement ? Ce mot ne suppose-t-il pas un décor, un arrière-plan dont nous sommes le centre ? Ne consolide-t-il pas l’imaginaire où l’homme est au cœur de tout ? La Terre n’est-elle vraiment qu’un vague espace qui nous entoure, ou bien la matrice qui nous a permis d’être ce que nous sommes ?

Vous l’aurez compris, le chemin pour parler le langage de l’espoir est simple. D’abord, un passage obligé au rez-de-chaussée dans la salle des constats, aussi tragiques soient-ils. Vous pourrez ensuite monter à l’étage, dans la chambre des descriptions précises et détaillées du futur souhaitable. Mais en cours de route, vérifiez l’état de l’escalier qu’est le langage : les mots que vous employez sont-ils justes ? 

Vous retrouverez ces lignes dans mon prochain article écrit pour le magazine Odyssées.  de LiveMentor. Odyssées c’est le fabuleux premier magazine français pour entrepreneurs. Si vous avez apprécié cet article, je vous le recommande de vous abonner pour lire toutes les autres chroniques, sa lecture est un shoot d’énergie sans effet secondaire 😉