Bien choisir ses mots pour exprimer ses émotions (CNV)

Comment déjouer nos automatismes et mauvais réflexes pour instaurer une communication harmonieuse avec autrui ? En apprenant à séparer l’observation du jugement. Une démarche au cœur de la Communication Non Violente.

 

Imaginez-vous un lundi matin.

Vous vous apprêtez à commencer une réunion d’équipe importante au sein de votre entreprise, quand vous recevez un appel. C’est votre associé et cofondateur. 

« Tu ne vas pas le croire, j’ai signé un nouveau partenariat, on commence demain. 

– Pffff, tu fais toujours ça, me mettre devant le fait accompli ! Tu n’en as rien à faire du planning. 

– Super, merci pour ton enthousiasme, j’ai passé mon week-end à carburer sur cette vente. » 

Voilà une bonne semaine qui s’annonce pour vous deux, qui n’avez pas réussi à appliquer les règles de la Communication Non Violente (CNV). 

Qu’est-ce que la CNV ?

C’est un outil de communication, principalement verbal, qui vise à développer des relations fondées sur l’empathie, la coopération harmonieuse et le respect de soi et des autres. Le psychologue américain Marshall B. Rosenberg, considéré comme le père de la CNV, s’est lui-même inspiré de la philosophie du penseur indien et médaille de la paix des Nations Unies, Jiddu Krishnamurti, exposée dans son ouvrage Se libérer du connu

Qu’il s’agisse de clarifier ce qu’il se passe en soi ou de communiquer avec autrui, la méthode de la CNV peut être résumée comme un cheminement en quatre temps : 

  1. Observation (O) : décrire la situation en termes d’observation partageable ;
  2. Sentiments et attitudes (S) : exprimer les sentiments et attitudes suscités par cette situation ; 
  3. Besoin (B) : clarifier le(s) besoin(s) ;
  4. Demande (D) : faire une demande respectant les critères suivants : réalisable, concrète, précise et formulée positivement. Si cela est possible, que l’action soit faisable dans l’instant présent. Le fait que la demande soit accompagnée d’une formulation des besoins la rend négociable.

Commençons par observer les faits

Chaque action, parole, geste, attitude, réaction est déclenché par une perception. La capacité à observer est un élément-clé de la CNV ! Trop souvent, nos observations se mélangent à nos pensées, jugements, imagination et interprétations empreintes du passé. Ce mélange (un beau cocktail !) risque de générer une fermeture dans le dialogue et de tomber dans le jeu du « qui a tort, qui a raison ». 

La CNV nous incite à formuler les observations de la manière la plus neutre possible, basés uniquement sur des faits. 

En voici un exemple : 

« Quand je vois que tu es encore en retard… » pourrait se reformuler de façon plus précise en CNV par : « Quand je vois que tu arrives à 10 h 30, alors que nous avions convenu de nous voir à 10 h… ». 

Dire de quelqu’un qu’il est « encore en retard », c’est lui attribuer des caractéristiques définitives qui l’enferment mentalement dans une case. Les évaluations rendent le monde statique, alors qu’il est en transformation constante.

Comme l’explique le psychologue américain Wendell Johnson, dans People in Quandaries: The Semantics of Personal Adjustment, le langage est un instrument imparfait invitant à instaurer de stabilité, alors que la réalité est changeante. 

Voici un autre exemple. « Tu es un fainéant » (jugement) s’oppose à « Cela fait une semaine que tu n’es pas sorti » (fait observable). Bien entendu, l’un des obstacles à l’expression des observations est d’être dans un rapport de pouvoir ou de compétition avec son interlocuteur ou interlocutrice. 

Comment savoir si nous mélangeons observation et évaluation ? 

Voici quelques exemples de confusion entre observation et évaluation, tirés de l’ouvrage La communication non violente au quotidien de Rosenberg. À votre avis, comment reformuler ces phrases pour passer de l’évaluation à l’observation ? 

  • Tu es trop généreux. 
  • Alice traîne pour faire son travail. 
  • Si tu ne manges pas sainement, tu auras des problèmes de santé.
  • Dupont est un mauvais joueur de foot.
  • Jacques est laid.

Voici comment séparer l’observation de l’évaluation : 

  • Quand je te vois donner ton argent, je pense que tu es trop généreux.
  • Alice n’étudie qu’à la veille des examens.
  • Si ton alimentation n’est pas équilibrée, j’ai peur que ta santé en souffre.
  • En 20 parties, je n’ai pas vu Dupont marquer un seul but.
  • Je n’aime pas l’apparence de Jacques.

Les mots comme « toujours » et « jamais » ainsi que les adverbes « fréquemment », « rarement » ou leurs synonymes traduisent souvent une confusion entre l’évaluation et l’observation.  Tentons donc de décrire une situation avec des observations objectives : ce qu’on a vu et ce qu’on peut logiquement en déduire, sans émettre d’hypothèse. 

Comme l’affirme Rosenberg, observer sans évaluer est la plus haute forme de l’intelligence humaine. En parlant de faits concrets, on ouvre ainsi la possibilité de formuler des demandes d’actions précises à réaliser dans le futur. 

Osons exprimer nos sentiments 

Afin de pouvoir communiquer ce qu’il se passe en nous, la CNV nous invite à développer un vocabulaire affectif pour exprimer toute la palette des émotions qui peuvent nous affecter.

L’un des pièges habituels est de faire l’amalgame entre les émotions et la perception que l’on se fait de l’autre, de ses agissements et de ce que l’on imagine faire. Par exemple, si l’on dit à un collègue que l’on se sent ignoré par lui parce qu’il ne nous a pas dit bonjour, on ne décrit pas nos sentiments –  de déception ou de frustration – mais notre interprétation de son comportement.

De même, certaines expressions cultivent la confusion entre sentiment et jugement. Par exemple, « j’ai le sentiment que tu ne m’aimes pas » n’est pas un sentiment mais un jugement ! On interprète en fait le comportement de l’autre. De manière générale, chaque fois qu’intervient le mot « tu » dans une phrase (« vous », « les autres »…), la probabilité est forte qu’il s’agisse d’un jugement et non d’un sentiment. Méfiez-vous du verbe « sentir » (ou « avoir le sentiment ») suivi des mots « que », « comme », « qu’il/elle/eux », « que tu/vous » : ce qui suit ne décrit probablement pas ce que vous ressentez. 

Par exemple : 

  • « Je sens que tu ne m’aimes plus ». « Tu ne m’aimes plus », ici, ne décrit pas un sentiment mais dit ce que nous pensons de l’interlocuteur. 
  • « Je me sens nul ». « Nul » n’est pas un sentiment ! Ce mot exprime une évaluation du sujet par lui-même plutôt que ce qu’il ressent. 

Acceptons la responsabilité de nos sentiments et de nos actions !

Tentons un exercice : selon vous, dans les phrases qui suivent, le sujet reconnaît-il sa part de responsabilité dans les sentiments qu’il éprouve ? 

  • « Tu m’énerves quand tu laisses tes vêtements par terre. » 

Ici, la déclaration sous-entend que seul le comportement de l’autre personne a engendré les sentiments, sans mentionner le besoin ou la pensée qui y contribue. Nous pourrions plutôt dire : « Lorsque je vois tes vêtements sur le sol de la chambre, je me sens agacée parce que j’ai besoin d’ordre dans la maison. » 

  • « Je suis en colère quand tu dis ça, parce que je le prends comme une insulte. » 

Ici, le sujet se reconnaît comme responsable de ses sentiments ! 

Évitons d’utiliser des expressions telles que : « Je sens que tu… », « J’ai le sentiment que… » qui expriment une pensée (ce que je crois, ce que je crains) et non ce que je ressens. 

À présent, rembobinons le début de semaine raté de notre duo d’associés, et rejouons le dialogue façon Communication Non Violente :

« Tu ne vas pas le croire, j’ai signé un nouveau partenariat, on commence demain. 

– Bravo pour ce nouveau contrat, cela a dû te demander un sacré travail. Mais je me sens désemparé. Nous avions planifié la recherche de partenaires pour plus tard. Toutes nos équipes sont occupées et ne pourront pas s’y consacrer avant le mois prochain. Serais-tu d’accord pour revoir le planning ensemble, avant de continuer avec le client ? »  

Je vous laisse inventer la suite…

Nous sommes pétris d’automatismes. Heureusement, la CNV incite à nourrir notre vocabulaire affectif pour décrire précisément nos émotions. Ce n’est pas la même chose de se sentir admiratif, amusé, attendri, fier, intéressé ou bien abasourdi, accablé, affligé, agacé ou effaré. Et, pour caractériser nos émotions, encore faut-il savoir les reconnaître… La prochaine fois que nous en éprouvons, questionnons-nous. Quels sont les sentiments réellement ressentis ? De l’affection ? De la gratitude ? De l’agressivité ? C’est la première étape pour vivre des relations vraies, profondes et, fécondes avec soi-même, avec autrui – et surtout avec son associé ! 😉